Le paysage politique tchadien est en pleine ébullition à l’approche des élections législatives, provinciales et communales prévues pour le 29 décembre 2024. Alors que l’Agence Nationale de Gestion des Élections (ANGE) avance dans les préparatifs, plusieurs partis politiques de l’opposition, dont Les Transformateurs et les partis regroupés dans le Groupe de Concertation des Acteurs Politiques (GCAP), remettent en cause la tenue de ces scrutins dans un contexte climatique jugé défavorable.
Opposition oscillant entre boycott et participation
Le GCAP: Lors d’une conférence de presse animée le 21 septembre 2024, le GCAP, qui regroupe plusieurs partis d’opposition, a appelé au report des élections, dénonçant un calendrier électoral compromis par des inondations persistantes, des retards dans la révision du fichier électoral, et des manipulations électorales présumées. Le Front de Résistance pour des Élections Libres, Inclusives et Transparentes (FELIT) soutient ces critiques, affirmant notamment que le redécoupage des circonscriptions est favorable aux partis au pouvoir, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS). Ces partis du GCAP estiment que maintenir les élections dans les conditions actuelles pourrait gravement affecter la légitimité des résultats et compromettre le processus démocratique.
La situation est d’autant plus délicate que les inondations, qui ont touché plusieurs régions du pays, ont entraîné des retards dans la cartographie électorale, certaines zones étant inaccessibles. Cette cartographie est pourtant une étape clé pour finaliser la distribution du matériel électoral et la préparation des listes électorales provisoires. Bien que l’ANGE ait pris des mesures pour pallier ces difficultés, telles que la possibilité de déposer les candidatures dans les chefs-lieux de province, le GCAP et d’autres acteurs politiques continuent de douter de la capacité de l’organe électoral à organiser des élections dans un tel contexte.
Les Transformateurs: Le parti d’opposition Les Transformateurs, dirigé par Succès Masra, a également dans un premier temps réclamé le report des élections, mettant en avant l’ampleur des inondations, qui ont causé près de 600 morts et touché des millions de personnes. Selon Masra, il est impossible de mener une campagne électorale équitable dans ces conditions. Bien que son parti ait initialement envisagé de boycotter les élections, Masra laisse la porte ouverte à une participation sous certaines conditions, comme une révision du code électoral et des circonscriptions, et un report des élections à 2025.
Malgré ces appels au report, le président Mahamat Idriss Déby a maintenu les élections au 29 décembre 2024, affirmant que les inondations n’entravent pas le déroulement du processus électoral. Cette décision a été mal accueillie par le Parti Les Transformateurs qui a rejoint le rang des partis de boycott. Dans le jeu politique, il reste néanmoins le RNDP-Le Réveil de Pahimi Padacké.
Ces manœuvres discrètes reflètent l’ambition de certains partis d’exercer une plus grande influence sur la scène politique nationale, malgré les tensions et les appels au boycott qui résonnent au sein d’une partie de l’opposition.
RNDP-Le Réveil: Pahimi Padacké avait critiqué avec une métaphore mordante le référendum qu’il comparait à un match de football nocturne dans un stade mal éclairé. Dans une prise de parole récente, Pahimi Padacké a lancé un avertissement ferme : « Après le référendum usurpé au peuple et une présidentielle gagnée sans témoin dans les bureaux de vote, la coalition au pouvoir se prépare à rejouer le même disque. RNDT-Le Réveil met en garde contre tout plan de forfaiture et appelle le peuple tchadien à la plus grande vigilance. » Il est important de rappeler que Padacké, après avoir qualifié le référendum de « match sans adversaire », avait tout de même choisi de se ranger derrière le processus électoral, participant à la présidentielle avec la conviction de pouvoir peser dans les débats. Mieux encore, il avait chaleureusement félicité son adversaire dès l’annonce des résultats provisoires.
Alors que plusieurs partis d’opposition affichent ouvertement leur intention de boycotter les prochaines élections, d’autres tels que le RNDP-Le Réveil de Pahimi Padacké et le Mouvement des Patriotes Tchadiens pour la République (MPTR) de Brice Mbaimon, président du groupe parlementaire Alliance Démocratique au CNT, adoptent une stratégie plus prudente, se gardant de révéler leur position officielle. Ce silence tactique laisse place à de nombreuses spéculations. Il est fort possible que ces partis soient en pleine négociation pour obtenir une participation stratégique et avantageuse, visant à maximiser leurs gains électoraux. Ces tractations pourraient leur permettre de faire entrer un nombre significatif de ses candidats au sein du Parlement et des conseils locaux, consolidant ainsi leur position au sein des institutions législatives.
Un tel scénario offrirait à ces partis une opportunité unique de prétendre aux postes clés, comme la présidence de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Ces manœuvres, bien que discrètes, témoignent de l’ambition de certains partis de peser davantage sur la scène politique nationale, en dépit des tensions et des appels au boycott qui animent une partie de l’opposition. Si cette stratégie se concrétise, elle pourrait transformer l’équilibre des forces en place, offrant à ces partis une influence considérable dans les prochaines législatures.
Conséquences du boycott
Le boycott des élections législatives peut avoir des conséquences profondes sur l’équilibre des pouvoirs et la démocratie d’un pays. L’exemple du Togo en 2018 illustre bien ces risques. En refusant de participer aux élections législatives, l’opposition togolaise a laissé le champ libre au parti au pouvoir, l’Union pour la République (UNIR), qui a obtenu une majorité écrasante au parlement. Cette domination quasi totale a permis au régime de modifier la constitution sans véritable opposition, notamment en supprimant les limites au nombre de mandats présidentiels, ouvrant ainsi la voie à une prolongation indéfinie du pouvoir.
Une situation similaire pourrait se produire au Tchad si l’opposition persiste dans son boycott des prochaines élections législatives et locales. En l’absence d’une réelle diversité politique au parlement, le MPS et ses alliés, pourraient gouverner sans contrepoids, facilitant ainsi des changements constitutionnels favorables au pouvoir en place. Le défi d’un tel scénario est que les le MPS et ses alliés résolvent l’équation de Schrödinger consistant à satisfaire chaque parti membre de la coalition.
Dr Pierre Kadi Sossou est le Directeur Pays du Bureau Tchadien de l’EISA
Ce billet de blog a été rendu possible grâce au soutien financier de l’Union européenne au titre de la convention de subvention n° NDICI AFRICA/2022/435-927. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’UE.