Lors d’une conférence intitulée « Le Parlement est-il ouvert aux femmes ? Une évaluation », qui s’est tenue à Genève, en Suisse, les 28 et 29 septembre 2009, l’Union interparlementaire a réuni 80 parlementaires et administrateurs de 38 pays pour évaluer les progrès réalisés en matière de participation des femmes au parlement. Cet événement, axé sur les commissions parlementaires qui œuvrent en faveur de l’égalité des sexes et des droits des femmes, a mis en lumière les défis persistants auxquels les femmes sont confrontées dans les systèmes politiques du monde entier.
Quinze ans après cette conférence, alors que le Tchad se prépare à ses élections législatives, provinciales et municipales prévues le 29 décembre 2024, la question se pose à nouveau : le parlement tchadien ouvrira-t-il vraiment ses portes aux femmes ? Depuis la première Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes au Mexique en 1975, la communauté internationale s’efforce d’éliminer les discriminations et de promouvoir l’autonomisation économique et politique des femmes. La nouvelle constitution du Tchad renforce et poursuit cet élan difficile, en établissant des protections essentielles pour les femmes et en garantissant l’égalité des sexes (articles 14 et 15). En outre, des dispositions comme l’article 34 encouragent activement la participation des femmes aux assemblées élues et aux institutions publiques, en exigeant des partis politiques qu’ils aient au moins 30 % de candidates sur leurs listes. Il convient de noter que la parité des sexes a été instaurée par le décret n° 0433 du 5 mars 2021 portant application de l’ordonnance n° 012/PR/2018, qui fixe un quota de 30 % de femmes aux postes nommés et électifs. Ce quota devrait progressivement évoluer vers la parité totale. Ces mesures comprennent l’alternance des sexes sur les listes dans les circonscriptions à plusieurs sièges et la parité obligatoire dans les circonscriptions à deux sièges.
Cet article explore l’impact de ces réformes sur les prochaines élections au Tchad et examine si ces mesures constitutionnelles et législatives permettront une plus grande intégration des femmes au parlement tchadien, favorisant ainsi un espace politique plus inclusif et représentatif.
1. Répartition des sièges et mise en œuvre des quotas de genre
La loi tchadienne impose un quota de 30 % de femmes, ce qui signifie que dans les circonscriptions à plusieurs sièges, les listes doivent comporter au moins 30 % de candidates, sous peine d’être disqualifiées. Dans les circonscriptions à un siège, les partis sont libres de désigner un homme ou une femme.
2. Analyse des perspectives électorales des femmes
Le Quota testé dans le système de vote proportionnel
Dans les circonscriptions uninominales, les partis politiques doivent respecter le quota de 30 % de femmes sur l’ensemble des sièges, ce qui signifie qu’environ 25 des 83 sièges pourraient théoriquement revenir à des femmes. Toutefois, cette projection est fragile en raison des victoires dominées par les hommes et des courses entre femmes, qui pourraient réduire ce nombre à seulement 13 sièges.
Dans les circonscriptions à deux sièges, la parité est de mise : chaque liste doit comporter un homme et une femme, ce qui permet aux femmes d’obtenir jusqu’à 34 sièges. A l’inverse, si le système proportionnel est appliqué, ce qui aboutit à ce que deux partis remportent chacun un siège, les chances des candidates féminines pourraient diminuer considérablement, car les hommes sont souvent placés en tête des listes.
Dans les circonscriptions comptant trois sièges ou plus, le quota de 30 % et la règle de l’alternance des sexes garantissent la représentation des femmes sur les listes, mais pas nécessairement dans la répartition des sièges. Si un parti remporte plusieurs sièges, environ 13 des 37 sièges de ces circonscriptions pourraient revenir à des femmes, mais ce chiffre pourrait être inférieur si les sièges sont répartis entre plusieurs partis. En fin de compte, la représentation des femmes dépend de la manière dont les partis appliquent les quotas et accordent la priorité aux femmes sur leurs listes, en particulier aux postes de direction. Malgré les quotas, les femmes risquent d’être sous-représentées, en particulier dans les circonscriptions uninominales et proportionnelles où elles occupent souvent des positions secondaires sur les listes. Cette tendance ne pourrait s’inverser que si davantage de femmes se présentaient dans des circonscriptions uninominales ou dirigeaient des listes dans des circonscriptions plurinominales.
Contraintes supplémentaires
Au-delà du placement stratégique sur les listes, plusieurs barrières structurelles et culturelles limitent les chances électorales des femmes :
- Défis de recrutement dans les zones reculées : les enquêtes sur le terrain montrent que dans certaines zones rurales et isolées comme Binder, les partis politiques ont du mal à recruter des candidates. Les partis signalent des difficultés à conserver leurs sympathisantes, qui partent souvent après le mariage. Les barrières culturelles et l’engagement public limité des femmes dans ces régions rendent difficile le respect des quotas.
- Obstacles financiers : les candidates sélectionnées dans des zones reculées sont souvent de petites commerçantes qui n’ont pas les moyens financiers de payer les frais de campagne. De nombreuses femmes n’ont pas non plus les ressources nécessaires pour mener des campagnes compétitives, ce qui limite leur capacité à rivaliser avec des candidats plus riches.
- Méfiance et réticence dues aux expériences passées : certains candidats potentiels hésitent à se présenter, car lors des élections précédentes, on leur avait demandé de financer eux-mêmes leur candidature en leur promettant des avantages tels que des passeports diplomatiques s’ils étaient élus. Placés en bas des listes, beaucoup n’ont finalement pas été élus, ce qui a suscité la méfiance et découragé la participation.
- Un scepticisme supposé et justifié à l’égard des quotas : certains analystes soutiennent que l’imposition de quotas de genre est efficace dans d’autres contextes, mais inadaptée au contexte tchadien, car elle risque de négliger les principaux défis structurels et culturels auxquels sont confrontées les femmes, en particulier dans les zones rurales ou conservatrices. Ils soutiennent que la nomination de femmes uniquement pour respecter les quotas risque d’étouffer les contributions politiques efficaces, de promouvoir un symbolisme superficiel plutôt qu’une véritable représentation et d’affaiblir la qualité des débats à l’Assemblée nationale. Ils plaident plutôt en faveur d’une approche progressive et solidaire de l’inclusion politique des femmes, adaptée au contexte unique du Tchad, comme moyen plus durable de construire une gouvernance efficace et inclusive.
Conclusion
Malgré les dispositions légales visant à améliorer la représentation des femmes avec un quota minimum de 30 %, diverses contraintes continuent de miner leur succès électoral. Ces contraintes, qu’elles soient structurelles, financières ou culturelles, réduisent considérablement les perspectives de représentation des femmes à la prochaine Assemblée nationale. S’il est probable que la représentation des femmes dépasse les 5,8 % et même les 15,3 % observés lors des législatures 2002-2006/2011 et 2011-2015/2021, il reste incertain qu’elle atteigne les 33 % actuellement observés au Conseil national de transition (CNT). Une estimation prudente suggère que les femmes pourraient remporter environ 32 à 45 sièges sur 188, soit environ 17 % à 24 % de l’Assemblée nationale, en fonction des stratégies des partis et de l’application volontaire des quotas dans les circonscriptions uninominales.
Pour que les quotas augmentent la représentation des femmes, il est essentiel de mettre en place des mesures incitatives plus fortes, un soutien financier et une plus grande sensibilisation aux avantages de la participation politique des femmes. Une liste réservée aux femmes, comme celle utilisée en Mauritanie, pourrait être une solution. Ce système réserverait des sièges aux femmes, ce qui renforcerait leur représentation parlementaire, quels que soient les résultats globaux des élections.
Ce billet de blog a été rendu possible grâce au soutien financier de l’Union européenne au titre de la convention de subvention n° NDICI AFRICA/2022/435-927. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’UE.