Au Tchad, l’échéance électorale des législatives, provinciales et communales de décembre 2024 se rapproche, et tandis que les principaux partis d’opposition hésitent à se lancer dans la bataille électorale, arguant d’un contexte climatique peu favorable et demandant un report, une autre bataille se dessine : celle des petites formations politiques qui, dans le passé, avaient rejoint le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) au sein de la grande coalition Tchad Uni. Désireux, une nouvelle fois, de s’accoquiner avec le parti au pouvoir pour bénéficier de sa force, ces petits partis ont tenté de renouer avec le MPS. Cependant, cette fois, ils ont été accueillis avec une fin de non-recevoir cinglante.
Le Secrétaire Général du MPS, Mahamat Zen Bada, a tranché sans détour durant une causerie avec les alliés : « Chaque parti politique a son identité propre. Chaque parti politique s’est constitué d’abord pour prendre le pouvoir par les urnes. Chaque parti politique est prêt chaque jour pour toutes les élections. Alors, le MPS ne va pas empêcher un parti, parce qu’il est allié, de se présenter ici ou là. Chacun peut se présenter là où il peut et là où il veut… et aux scrutins qui lui semblent les plus accessibles, législatives, provinciales ou communales. Ne nous attribuez pas des intentions en utilisant de gros mots comme « le divorce est prononcé ». Il n’est dit nulle part que la coalition doit se partager les 190 places. … On ne crée pas un parti pour être allié. C’est ça qui est honteux. Chacun va seul et on ramasse les fruits à la fin. » Cette déclaration marque un tournant dans la stratégie du parti. Plus qu’un simple rejet d’alliance, elle révèle une volonté de maximiser les gains politiques, non pas par le biais d’un partage de pouvoir ou d’une coalition, mais par une domination électorale totale.
Le message sous-jacent est clair : moins il y a de partis avec lesquels partager des sièges et des postes, plus le MPS peut monopoliser le pouvoir.
On aurait pu penser que cet appel aux petits partis à concourir de manière indépendante et à prouver leur valeur sur le terrain, vise, en quelque sorte, à assainir le jeu politique, à éviter les alliances superficielles et à encourager une compétition plus équitable et plus transparente. Lire ainsi cette prise de distance du MPS vis-à-vis des alliances électorales traditionnelles, c’est méconnaitre les acteurs politiques. Cette posture du MPS s’explique non seulement par une trop grande confiance du MPS en ses capacités à remporter les élections sans le soutien des petits partis, mais aussi par une forme de gourmandise politique. En incitant chaque parti à « se débrouiller » seul, le MPS semble chercher à garder le contrôle total sur les fruits de la victoire. L’idée sous-jacente est claire: moins il y aura de partis avec lesquels partager les sièges et les postes, plus le MPS pourra accaparer les bénéfices du pouvoir. Certains voient dans cette posture de la realpolitik, conséquence de la leçon tirée de l’élection présidentielle du 6 mai 2024, au cours de laquelle le MPS n’avait pas vraiment perçu la valeur ajoutée de ses alliés. Comme l’a dit Félix Houphouët-Boigny, « la politique est la saine appréciation des réalités du terrain ». Le MPS se veut pragmatique : « Si tu ne m’arranges, ne me dérange pas ».

Cette stratégie de solitude réfléchie n’est pas nouvelle dans les régimes politiques dominants. Le MPS, en refusant de jouer la carte des alliances, se positionne comme le principal acteur sur la scène électorale. Le parti, fort de ses ressources et de son réseau, sait qu’il peut écraser la concurrence dans la majorité des circonscriptions. En demandant aux petits partis de s’imposer seuls, le MPS envoie un message : seuls ceux qui prouveront leur valeur sur le terrain mériteront une place autour de la table des vainqueurs.
Cette stratégie de solitude électorale, guidée autant par la confiance que par une volonté de monopoliser le pouvoir, permettra-t-elle au MPS de rafler la mise, ou entraînera-t-elle des conséquences inattendues dans un contexte politique fragile? Quoi qu’il en soit, le parti de Zen Bada semble prêt à risquer gros pour s’assurer de tout rafler, laissant les petits partis à leurs propres moyens.
Dr Pierre Kadi Sossou est le Directeur Pays du Bureau EISA au Tchad
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