Comment mieux gérer pour mieux servir ?
Cette question, au cœur des réformes des services publics dans de nombreux pays, interroge également les organisations de la société civile (OSC), y compris celles du Tchad, qui sont des actrices clés du changement social et du développement inclusif.
La réponse passe inévitablement par une transformation de la manière de concevoir et de piloter les interventions. L’atelier de renforcement des OSC en matière de planification, suivi, évaluation et apprentissage, tenu à N’Djamena du 27 au 28 mai 2025, plonge d’emblée les participants dans la Gestion Axée sur les Résultats (GAR), une approche qui propose un véritable changement de paradigme. Elle rompt avec les logiques bureaucratiques classiques pour faire émerger une nouvelle culture managériale centrée sur les effets réels de nos actions.
Ce qu’on appelle ici « résultat » renvoie à différentes réalités : des produits directement issus des activités, des effets intermédiaires sur les bénéficiaires, ou encore des transformations profondes à long terme. Savoir distinguer ces niveaux de résultats est un préalable indispensable aux organisations pour comprendre leurs actions, les adapter et en améliorer durablement l’impact.
Contre toute logique de stabilité rigide, le GAR pose les bases de l’adaptabilité et invite le gestionnaire à tendre vers l’idéal, comme une courbe tend vers l’asymptote sans jamais la toucher. L’asymptote, cette ligne infinie, représente le sens, l’ambition, le cap. Pour s’en approcher, il faut faire de l’évaluation un compagnon fidèle.
Eh oui, évaluation, un mot qui fait frémir. C’est une scène que beaucoup connaissent trop bien. Un projet avance, les partenaires sont mobilisés, les rapports circulent… puis vient l’annonce : un évaluateur externe arrive. Les visages se figent, les regards se détournent, les voix se font plus basses. Comme si être évalué signifiait automatiquement être jugé, pesé, mesuré — et souvent trouvé insuffisant.
Cette crainte est héritée d’un ancien modèle bureaucratique qui a fait de l’évaluation un outil de contrôle, un instrument de pouvoir. La GAR nous dit que l’évaluation n’est pas là pour désigner un coupable, mais pour regarder le processus, détecter ce qui bloque, aider à ajuster et améliorer. C’est de la capacité à apprendre des erreurs, pour une efficience managériale et organisationnelle, qu’il est ici question. C’est de la capacité à saisir la demande fluctuante du citoyen et à le servir au mieux de ses attentes qu’il s’agit.
Le formateur poursuit en guidant les participants à travers la logique de la GAR, qui repose sur un enchaînement dynamique que sont planification, suivi, évaluation et apprentissage.
Tout commence par la planification qui est un acte stratégique, presque politique consistant à définir une vision, fixer des objectifs, identifier les résultats attendus, anticiper les risques, répartir les ressources. Bien menée, la planification trace une trajectoire souple. Elle dessine feuille de route de l’idéale vers laquelle on tend.
Mais la feuille de route ne suffit pas : il faut aussi regarder la route. Suivre, c’est collecter des données, observer les effets, mesurer les écarts. C’est un exercice de lucidité. Le suivi agit comme un miroir. Un miroir ne triche pas, ne flatte pas, ne maquille rien. Il montre ce qui est là, sans filtre. Pour un gestionnaire, accepter de se regarder, avec ses approximations, ses ratés, demande du courage. Mais c’est ce courage qui rend possible le progrès.
L’évaluation, elle, va plus loin que le suivi. Elle ne se contente pas de documenter ce qui a été fait, elle interroge pourquoi cela a — ou non — fonctionné. Elle examine les choix, les hypothèses, les stratégies. Elle pose les bonnes questions : Étions-nous pertinents et cohérents, efficaces, efficients, viables ? Avons-nous eu l’impact escompté ? Que pourrions-nous faire autrement ? Dans cette perspective, l’évaluation devient une étape du chemin, une balise, un point de repère pour mieux comprendre, mieux décider, mieux agir.
Apprendre, enfin, est le fruit de tout ce cycle. C’est le moment où les enseignements deviennent des leviers d’action. Où les erreurs ne sont pas étouffées, mais transformées en repères. Où l’on comprend que l’objectif n’est pas d’être parfait, mais de progresser, continuellement.
Ce besoin d’apprentissage continu a été exprimé avec force par les organisations de la société civile participantes, conscientes de la complexité, de l’instabilité et de l’imprévisibilité croissantes de leur environnement d’intervention. En tant qu’acteurs de première ligne, au plus près des communautés, de leurs besoins et des urgences, elles doivent faire preuve d’une capacité constante d’adaptation, de réactivité et d’innovation. Pour prolonger l’élan amorcé lors de l’atelier et approfondir leur compréhension des outils de gestion axée sur les résultats, ces organisations ont insisté sur l’importance de cultiver une véritable culture de l’apprentissage. À leur initiative, un groupe WhatsApp a été créé séance tenante, avec la demande d’y inclure le facilitateur afin de maintenir un lien direct et de continuer à bénéficier de ses orientations. Elles ont ainsi manifesté une conviction forte : dans un monde en perpétuelle mutation, seules les organisations capables de tirer parti de leurs expériences et d’apprendre en continu peuvent espérer générer un impact durable.
La réponse à cette question nécessite inévitablement une transformation profonde de la manière dont les interventions sont conçues, gérées et évaluées.
Ce billet de blog a été rendu possible grâce au soutien financier de l’Union européenne au titre de la convention de subvention n° NDICI AFRICA/2022/435-927. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’UE.
