Oui, non ou boycott ? Une campagne féroce avant le référendum constitutionnel au Tchad

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La campagne référendaire au Tchad a débuté le 25 novembre et s’est poursuivie jusqu’au 15 décembre 2023. De fortes rivalités politiques entre les deux camps inégalement opposés ont commencé à se manifester dès la première semaine de la campagne avec des affiches et du matériel de campagne. Dès la deuxième semaine, les hostilités entre les camps sont devenues plus apparentes.

Le camp du « OUI » a clairement investi massivement dans sa campagne, en témoignent les t-shirts, casquettes et caravanes motorisées arborant fièrement des slogans en faveur du référendum. Parmi les nombreuses voix de soutien, les observateurs de l’EISA ont vu des représentants de l’Union des Jeunes du Mayo-Kebbi Ouest pour MPS (Mouvement Populaire du Salut) inviter tous les Tchadiens à voter « OUI » pour préserver la paix et la cohésion sociale. De même, dans le Chari-Baguirmi, ils ont observé le Parti Populaire pour la Liberté appeler à un « OUI » massif. Le camp du « OUI », mené par le Premier ministre par intérim Saleh Kebzabo, semble dominer cette campagne. Pour autant, le camp du « NON » n’est pas resté les bras croisés, menant une campagne plus discrète.

Le Bloc fédéraliste a par exemple été repéré à Walia, dans le 9e arrondissement de N’Djamena, avec une banderole affichant clairement son opposition à la forme unitaire de l’Etat et appelant au “NON” au référendum. Cette démonstration visuelle montre la détermination du camp du « NON » à partager ses idées et à remettre en question l’État unitaire proposé. Même si leur campagne est peut-être moins visible que celle du camp du « OUI », il est clair que le camp du « NON » mobilise également ses partisans pour exprimer leur désaccord avec la proposition constitutionnelle actuelle.

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Leur présence dans la région reculée du Tibesti, où une caravane motorisée a été aperçue brandissant une banderole manuscrite disant : « NON à l’État unitaire, NON », démontre la portée du camp du « NON ». Leur présence dans une région lointaine comme le Tibesti fait que le débat autour du référendum constitutionnel est ancré aux quatre coins du pays et que des opinions divergentes cohabitent, même dans les zones les plus reculées. C’est dire l’importance et l’ampleur de cette consultation populaire pour l’avenir du Tchad.

Il existe également un troisième camp sur le terrain, celui du « ni… ni » qui prône le boycott. Il est dirigé par l’ancien Premier ministre par intérim Pahimi Padacké Albert, qui affirme que le processus référendaire a mal démarré avec la création de la Commission Nationale Chargée de L’organisation du Référendum Constitutionnel (CONOREC). La Commission, affirme-t-il, est dirigée par le ministre de l’Administration territoriale, des gouverneurs, des préfets et des sous-préfets, compromettant ainsi la neutralité requise pour un organisme de gestion électorale. Pahimi a utilisé une métaphore ironique pour exprimer ses sentiments à ce sujet :

« Le référendum du 17 décembre 2023 est comme un match de football : mais un match de nuit, dans un stade mal éclairé, entre deux équipes : une équipe dite du « Oui », vêtue de maillots blancs, et une équipe dite du « Non », vêtu de maillots noirs. La couleur noire de l’équipe « Non » est choisie par son adversaire ; le noir, symbole du diable. L’arbitre de ce match est le capitaine de l’équipe du « Oui », ses attaquants sont les arbitres de touche et son gardien de but est le quatrième juge. L’équipe du « Non » est hébergée, nourrie et transportée sur le terrain par les dirigeants de l’équipe du « Oui ». Selon vous, laquelle des deux équipes remportera ce match ? Est-ce un vrai jeu ?

Même si la position de Pahimi remet en question la sagesse des actions du gouvernement et dénonce leur impact négatif sur la démocratie tchadienne, même si la position du boycott est potentiellement contre-productive, dans la mesure où elle risque de brouiller la campagne du « NON » et de priver certains individus de leur voix et de leur pouvoir de contribuer au changement auquel ils aspirent, elle reste une troisième voix qui a le droit de s’exprimer.

Leur présence dans une région lointaine comme le Tibesti fait que le débat autour du référendum constitutionnel est ancré aux quatre coins du pays et que des opinions divergentes cohabitent, même dans les zones les plus reculées.

Des informations sur le terrain indiquent néanmoins que des partisans du Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP), en campagne pour le boycott le 7 décembre, ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes à Farcha, dans le 1er arrondissement de N’Djamena. Une vidéo amateur montre un individu en treillis arrêtant une caravane et arrachant des affiches sur des véhicules. Il s’agit d’une grave atteinte aux principes fondamentaux de liberté de circulation et d’expression, qui ne peuvent subir de telles restrictions en période de campagne. Le 8 décembre, la CONOREC a répondu à la question de l’ACET quant à savoir si des mesures avaient été prises pour interdire de telles actions et a déclaré qu’une lettre avait été envoyée au ministre de l’Intérieur. En effet, le 9 décembre, la Police nationale a publié un communiqué confirmant que des mesures disciplinaires avaient été prises à l’encontre des policiers “qui n’auraient pas exercé leurs fonctions de manière professionnelle”, et mettant en garde “tout policier qui tenterait de se livrer à ce genre de comportement”. pratiques qui portent atteinte aux valeurs démocratiques chères aux plus hautes autorités de la République ».

Même si cette campagne référendaire révèle des rivalités politiques sur la forme de l’État et des disparités dans les moyens déployés par les différents camps, elle montre aussi que tous les camps ont la possibilité d’exprimer librement leurs positions. L’impact de cette dynamique sur le résultat du référendum du 17 décembre et sur l’avenir du pays sera bientôt révélé.

Le Dr Pierre Kadi Sossou est le directeur pays du bureau de l’EISA au Tchad.